Ce que change la forte hausse du baril de pétrole pour la France Magazine Challenges

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Par Antoine Izambard le 12.01.2018 à 17h18, mis à jour le 15.01.2018 à 08h42

Alors que le baril de Brent frise les 70 dollars et que le WTI a clôturé jeudi à son plus haut depuis trois ans, la France pourrait, selon certains économistes, voir son PIB amputé de 0,2% à cause de la baisse des dépenses des ménages et des entreprises.

La confiance est bel et bien de retour sur les marchés pétroliers. Le baril de Brent (référence de la mer du Nord) frise depuis jeudi la barre symbolique des 70 dollars, sa valeur la plus élevée depuis décembre 2014. Quant au pétrole coté à New York (WTI), il a également atteint jeudi à la clôture un nouveau sommet (63,80 dollars) depuis la mi-décembre 2014, porté par une baisse des stocks de brut et des craintes de tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. « Les marchés ont accueilli favorablement les dernières prévisions internationales qui démontrent que l’écart entre l’offre et la demande se resserre, analyse Benjamin Louvet, Gérant matières premières chez OFI AM. La hausse des cours s’explique aussi par la limitation de la production de l’OPEP et de la Russie initiée depuis novembre 2016″.

Un impact de 0,2% du PIB sur la croissance

Quelles conséquences ce rebond des cours, qui a entraîné une forte augmentation des prix à la pompe, va-t-il avoir dans des pays comme la France qui sont de gros importateurs de brut? « Le baril de Brent a gagné 20 % en 2017 par rapport à l’année précédente ce qui représente un effet sur la croissance française de l’ordre de 0,2% du PIB, ce n’est pas négligeable, répond Céline Antonin, économiste à l’OFCE et spécialiste des marchés pétroliers. Cet impact a d’ailleurs sérieusement commencé à se faire ressentir puisque sur les douze derniers mois, le déficit cumulé de la France a atteint 62,6 milliards d’euros, contre 48,2 milliards en 2016. Selon les douanes, cette aggravation est notamment due à une « forte poussée » des approvisionnements énergétiques, « dans un contexte de tension sur le prix du baril » de pétrole. « L’ère du pétrole très bon marché est révolue, les commodities impactent de nouveau notre économie » appuie  Christophe Barraud, chef économiste chez Market Securities.

Concrètement, la hausse des cours renchérit les exportateurs nets de pétrole et creuse les déficits des pays importateurs nets de brut. Elle affecte les ménages via la hausse du prix des produits pétroliers entrant dans le panier de biens consommés (5% du panier en France), ce qui diminue le pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages et n’incite pas à des dépenses supplémentaires. A cela s’ajoute la hausse de 10% de la taxe sur le diesel qui s’applique depuis le 1er janvier 2018. « Cela va surenchérir encore plus les dépenses des ménages, poursuit Céline Antonin. Quant aux entreprises, elles vont être impactées par la hausse du prix des consommations intermédiaires. Elles vont alors soit rogner sur leur marge soit augmenter leur prix de vente ».

Le rôle clé du pétrole de schiste américain

Un scénario qui pourrait s’empirer en cas de nouvelle hausse du baril comme certains le prévoient. L’OPEP a d’ailleurs prédit dans ses derniers rapports une hausse modérée des prix en 2018 et 2019. Un avis que partage Benjamin Louvet. « Au-delà du rééquilibrage en cours entre l’offre et la demande, on se dirige vers une situation où l’on manquera de pétrole dans les prochaines années, défend-il. Les investissements pétroliers sont de plus en plus faibles et pour maintenir la production à son niveau actuel, les pétroliers doivent investir 630 milliards de dollars par an selon l’AIE. Or en 2015, ils ont investi 450 milliards de dollars, moins de 400 en 2016 et pour 2017 on arrivera à 450 milliards de dollars. La production de pétrole va donc baisser en 2018 et le prix du baril pourrait très facilement remonter autour des 75 dollars fin 2018 ».

A l’inverse, d’autres tablent sur un statu-quo, voire une baisse des prix. « Avec un baril à 70 dollars, les producteurs américains de pétrole de schiste vont rentrer dans leurs frais et donc accroître leur production » soutient Céline Antonin. Plus que jamais ce sont les producteurs américains qui feront office de juge de paix sur le marché de l’or noir. Car si le schiste ne représente qu’une goutte d’eau (5%) de la production mondiale, il possède un avantage compétitif de taille, celui d’être ultra réactif.  En l’espace de trois mois, ils sont en mesure de remettre en activité des puits alors que l’Arabie saoudite a besoin d’au moins six mois avant de commence à exploiter un puit. Contrairement aux Saoudiens dont le baril est rentable à partir de 10 dollars, les producteurs de shale ne rentrent dans leur frais que lorsque le baril avoisine les 70 dollars selon les experts. Depuis jeudi, c’est justement le cas.

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